11.09.2023 – Chronique du lundi
11 septembre 2023 § Poster un commentaire
Le bruit sourd des marteaux-piqueurs sous ma fenêtre…
Chères et chers ami·e.s qui suivez mes élucubrations hebdomadaires voilà que dans le noir avant le crépuscule mes yeux s’ouvrent sur un nouveau lundi. Un lundi encore bien ancré dans l’été. Une nouvelle fois je me réveille tout enveloppé des oripeaux d’une nuit où le souffle du vent d’Autan balaie les rues de la Ville rose. Cette semaine les nuits ont tout de même baissé l’intensité de leur chaleur. Mais selon les prévisions, on dirait tout de même que l’été voudrait bien se prolonger loin et tard en septembre. C’est comme si l’automne, lui, voulait prolonger ses vacances. On dirait surtout que la saison estivale qui porte la vie, les moissons, les cueillettes et les vendanges dans la joie ensoleillée a décidé année après année de se muer en enfer. Ceci dit nous n’aurons qu’à nous en prendre qu’à nous même peuples de Sapiens avides d’accumulations. Bref il fera encore chaud et lourd ce lundi 11 septembre 2023 dans nos latitudes occitanes. Ce qui ne m’empêchera pas de composer une nouvelle chronique du lundi dans laquelle je vous accueille par ce grand bonjour de bienvenue.
Alors si vous trouvez mon ton lyrique et imagé c’est parce qu’en début de ce nouveau billet hebdomadaire il est surtout hésitant. Ainsi quoi de mieux pour rassembler ses esprits que de digresser autour de la pluie et du beau temps ? En fait cette introduction est hésitante car, je l’avoue, elle est toute improvisée au dernier moment au fur et à mesure de sa rédaction.
C’est bizarre car pour une fois tout au long, pour le coup, de la semaine dernière j’avais cadré et préparé une chronique bien ficelée me semble-t-il avec énormément de choses à dire. En effet j’avais totalement ancré celle-ci dans l’air du temps qui passe à travers les agacements et réflexions bien senties. Je comptais documenter tout cela grâce à des renvois idoines vers des sites et des pages web propres au développement de ces dites réflexions.
Avouons ensemble que l’actualité s’y prête et nous gâte entre soubresauts bellicistes autant qu’imbéciles [+] de par le monde, une rentrée pleine de contrefeux [+], le climat de plus en plus explosé [+], un capitalisme totalement incontrôlable [+], une cérémonie rance [+] en France et de terribles nouvelles qui nous arrivent des contreforts de l’Atlas [+]. Sauf que je n’avais que peu de choses de l’art à vous narrer. Sauf que surtout nous sommes le 11 septembre 2023 aujourd’hui à la date d’où je vous entretiens de mes pensées à travers ces mots.
Et voilà donc que j’ai totalement changé mon intention en l’espace de 24 heures. Tout ceci fut déclenché par une intense discussion à propos de ce qu’étaient les souvenirs de notre enfance et de ceux qui nous étaient propres. Des propos échangés qui ont mariné dans mes synapses tout le dimanche et qui m’ont fait changer du tout au tout et surtout exploser le plan initial de cette chronique du jour.
Je vous l’ai mainte fois dit et celles et ceux qui ont bien voulu s’intéresser à mon travail plastique le savent, dans celui-ci j’interroge la mémoire depuis des décennies, la mémoire individuelle comme ses perspectives collectives. Peut-être aujourd’hui ceci a-t-il à voir avec cela ?
Afin d’expliquer le contexte de ma décision, je reviens à cette discussion de samedi entre ami·e·s, non point pour présenter mes excuses pour ce cafouillage dans ce présent exercice éditorial, mais pour l’introduire au mieux… Enfin !
C’était donc une discussion qui se déroulait dans le cadre d’une soirée familière autant que familiale où nous étions invité·e·s avec Thérèse [+] et les enfants chez de proches ami·e·s. Discussion qui s’est terminée par des échanges animés à propos de quelques observations autour de dates clés dans notre histoire dite contemporaine. Évidemment à quelques heures de la date hautement symbolique du 11 septembre [+], nous avons échangé des références qui forcément ne sont pas les mêmes pour chacun·e.
On pourra noter que pour la plupart des gens sur Terre cette date marque sans hésiter la chute [+] des fameuses tours jumelles sur le bord de l’Hudson. Alors que pour ma part c’est du côté du Rio Mopocho [+] que vont les célébrations mémorielles de mes neurones en ce fameux jour de septembre, malgré mon jeune âge à l’époque des événements.
J’avais beau être encore un pré ado même pas sorti de l’enfance, encore un tout petit collégien en culottes courtes, cet événement mondial a imprégné mon hippocampe ainsi que toutes les zones de stockage mémoriel de mon cerveau, tout comme quelques autres événements du monde qui se comptent sur les doigts d’une main au cœur de cette époque entre la fin des années 60 et le début des 70s
Je me souviens du ton de gravité autour de cette affaire en ce temps là, en tout cas dans mon entourage elle était souvent de mise. C’était une sale et tragique affaire d’impérialisme pour beaucoup de progressistes [+]. Et dans le contexte de la guerre du Vietnam le sentiment antiaméricains n’était plus l’apanage exclusif des staliniens, trotskistes ou autres libertaires. L’Amérique des possibles et de l’utopie pionnière n’était plus intouchable, on commençait à avoir quelques doutes à propos du capitalisme triomphant, de l’American way of life et des méthodes mises en œuvre pour y parvenir. Quoiqu’il en soit je me souviens des discussions sombres des adultes autour de moi qui parlaient de l’ombre du fascisme à travers ce coup d’état au Chili, alors qu’à quelques kilomètres de chez nous l’Espagne agonisait à coup d’infâmes strangulations [+] sous le joug d’un interminable franquisme.
Je me dis aussi que peu de mes contemporain·e·s se souviennent de ces lointains événements qui ont précisément 50 ans aujourd’hui. Alors pour recadrer l’affaire à partir de ma mémoire d’enfant abreuvée des photos [+] emblématiques de l’époque je pose ici le cadre d’une histoire où une junte de militaire brutaux s’y emparait du palais de la Moneda en assassinant un président Allende qui avait résisté jusqu’au dernier moment armes à la main. Dans une dernière et désespérée allocution radiophonique juste avant son assassinat, ou son suicide comme il est admis généralement, et le début d’une sombre période de dictature, il prononça un discours mémorable dans lequel il dit : « […] El pueblo debe estar alerta y vigilante. No debe dejarse provocar, ni dejarse masacrar, pero también debe defender sus conquistas. Debe defender el derecho a construir con su esfuerzo una vida digna y mejor. […] ». Vous pourrez lire l’intégralité de ce discours avec sa traduction française en suivant ce lien [+].
C’est pourquoi je me dis que s’il y a catastrophe à commémorer les 11 septembre c’est bien celle de 1973 dont nous devrions nous souvenir en priorité tant elle fait écho à notre monde actuel… Le capitalisme effrayé de voir les richesses du Chili lui échapper, à cause d’un gouvernement socialiste qui n’était pourtant pas dans le camp stalinien et proposait des voies pour une véritable alternative de sociétés, lança ses chiens fascistes pour écraser cette bulle de liberté. Une répression dont les artistes et les poètes furent les premiers à en faire les frais [+]. Même si tout le monde n’était pas fervent supporteur [+] du gouvernement socialiste renversé au Chili, quelques chancelleries européennes dont celle de la France auront tout de même permis de sauver l’honneur et le sauvetage de milliers de résistants, ainsi qu’on peut le lire en suivant cet autre lien [+], vers un article d’il y a plusieurs année de l’Huma.
S’ensuivirent 15 ans d’une répression féroce et fasciste, des assassinats, des disparitions, de la torture. Celles et ceux du peuple chilien qui crurent que la méthode forte allait les sortir de leurs conditions prolétaires en furent évidemment pour leur frais. Qu’elle que soit la latitude et la longitude, l’extrême-droite n’est jamais l’ami [+] du peuple, et surtout pas du prolétariat. Elle n’a toujours fait que manipuler les frustrations de ce dernier au profit de la brutalité de ses doctrines. Et elle a toujours été l’alliée ainsi que le dernier rempart [+] du capitalisme et de la bourgeoisie, et ce capitalisme et cette bourgeoisie ont toujours préféré le fascisme au progrès humain vers plus de fraternité (et évidemment de sororité !).
Ce pronunciamiento chilien du 11 septembre 1973 n’a pas échappé à la règle. Et pour mémoire, je me souviens vous en avoir narré quelques bribes il y a déjà plusieurs mois, voire années, dans une de mes anciennes chroniques du lundi, je vais donc répéter ici où se trouvaient les racines ultra-libérales de cette affaire. En effet c’est à Chicago qu’elles se nourrissaient en ce temps là. Je vous laisse écouter en suivant ce lien [+] déjà partagé, l’histoire des fameux « Chicago boys » concepteurs économistes d’une politique effroyable [+]. Peut-être un jour on jugera des gens comme Friedman et autres penseurs du capitalisme et de ses méthodes libérales à la hauteur de leurs sauvages méfaits, c’est à dire comme de véritables instigateurs de crimes contre l’humanité.
Voilà ainsi se refermera cette parenthèse mémorielle tout droit sortie de mes souvenirs post enfantins mais pré pubères. Des observations du monde devenues souvenirs qui avec la force de la raison ont fini par forger mes opinions et convictions.
Je clos aussi ici cette courte chronique dans laquelle, emporté par ma mémoire, je n’ai pas parlé d’art. Je n’en parlerai pas tellement plus ce jour, ce n’est pas qu’il n’y ait rien à voir ni à dire dans ce domaine central de l’activité humaine, mais j’avoue qu’en ayant changé mon plan de chronique au dernier moment j’ai bien la flemme de partir vers d’autres explorations textuelles aujourd’hui.
À part juste un petit mot au sujet du travail en cours, au Chili justement, que mène la formidable auteure, comédienne, metteuse en scène et performeuse contemporaine Julie Pichavant [+] avec qui j’ai mainte fois collaboré [+]. Un nouveau travail qu’elle mène autour de cette mémoire dans une exploration sensible nommée « Las Ruinas de Versalles – Espacios de Memoria » [+], qui se déploie en ce moment au Centro Cultural la Moneda [+] de la capitale chilienne.
Et tout de même et encore en restant sur ce sujet chilien je tenais à annoncer un film documentaire et tout aussi sensible que le travail précédemment cité, un film que je n’ai pas encore vu mais cela ne saurait tarder. Il est réalisé par Thomas Lalire [+] et Benoit Keller [+], qui explore justement cet épisode des réfugiés politiques dans l’ambassade de France à Santiago du Chili à l’époque. Ce film s’appelle « Revoir l’ambassade » [+], il ne vous reste qu’à pister son passage dans un cinéma près de chez vous. J’espère que nous aurons au moins l’occasion de le voir à Toulouse dans un prochain Cinélatino [+] !
J’espère que vous ne me tiendrez pas trop rigueur de la brièveté de cette chronique du jour, mais ma décision est prise : je vous laisse pour de bon… D’autant que je vais partir travailler au fond de mon atelier, les bruits de marteaux-piqueurs du chantier sauvage de derrière chez nous, dont il faudra bien que nous vérifions la légalité de l’entreprise, me troue les oreilles !
Je vous laisse encore avec un vieux dessin d’une série de ma facture, un peu dans la ligne politique du jour. Dessin que j’avais présenté à travers quelques autres en 1991 dans une exposition intitulée « Desbolonatje e quilhada d’escrovas (Déboulonnage et levée d’écrous) » quelque part du côté de Béziers. Sur ce, je vous souhaite une belle semaine en vous donnant rendez-vous pour lundi prochain sans faute… Addisiatz !

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…
PhP

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