13.12.2021 – Chronique du lundi

13 décembre 2021 § Poster un commentaire

La difficile aventure collective

Les semaines se suivent et se ressemblent souvent sous la grisaille de l’automne finissant. Le moment le plus crevant de l’année où les jours sont courts et quand la lumière arrive, elle se trouve bloquée par des rideaux de pluie, ou au mieux un ciel bas et gris. Mais heureusement je sais les prévisions et la journée qui arrive sera dotée d’un beau soleil sur les bords de la Garonne. Ah, oui, c’est vrai, je vous ai déjà parlé de la pluie et du beau temps il y a quelques semaines, je ne vais pas m’y remettre !
Chères et chers lectrices comme lecteurs, auditeurs comme auditrices, internautes, je vous souhaite une nouvelle fois la bienvenue sur ma Chronique du lundi, chronique du 13 décembre 2021. Une chronique, je vous le promets donc, sans trop de considérations météorologiques. Il est juste 5h du mat’ et j’ai des frissons, mais je ne claque pas les dents, je ne suis pas seul et les draps ne sont pas bleus !

Ne me viennent juste et seulement que quelques réflexions en creux ce matin, car il y a des jours où l’on se sent peu inspiré. Une occasion de jeter un œil sur le rétroviseur et de lire ce que je déblatérais dans mes chroniques l’an passé. Ceci aussi : je vous ai déjà servi il y quelques semaines, ce truc de la mise en abîme dans mes textes hebdomadaires ! Mais voyez-vous, cela me permet de constater comment j’étais énervé contre celles et ceux qui nous gouvernent et sont sensé·e·s œuvrer pour le bien public ainsi que pour leurs peuples dans ce qu’ils ou elles appellent toutes autant que tous : une démocratie… Force est de constater que rien ne change, la gestion des crises est toujours aussi calamiteuse. Oui rien n’a changé, en France : l’hôpital est toujours dans une situation catastrophique comme l’expliquait il y a quelques jours la médecin Véronique Hentgen, membre du Collectif Inter-Hôpitaux à une commission parlementaire du Sénat, à voir sur ce lien [+]. Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi j’intériorise ma révolte. Je suis moins virulent face à de telles idioties, la lassitude peut-être, la fatigue sûrement.

De toute façon à partir du moment où l’égo du haut fait écho aux pires imbéciles égos du bas, on ne peut pas imaginer jaillir une étincelle, ne serait-ce que d’un minimum de bon sens à défaut d’intelligence.
Cette dernière réflexion en creux du petit matin me fait penser à tout ce temps, il y a près de vingt ans, quand j’entamais un travail autour de la « plasticité du cerveau humain » dans ma pratique d’artiste plasticien à travers mes différentes installations « Réductions ». Ce travail m’avait amené à interroger la mémoire. Mais avant tout c’est bien les passionnantes avancées de la recherche sur le fonctionnement de notre organe central qui m’avait motivé. Nous continuons en permanence à en découvrir les tyrannies actives et passives qui font notre vie. Même si ce n’est loin d’être coutume, je partage dans cette chronique des liens vers des images de télévision. Des images où le neuropsychologue Stanislas Dehaene parle du fonctionnement de notre cerveau [+], et puis aussi évidemment sur la mémoire [+] du point de vue des neurosciences cognitives. Ce n’est pas que je sois très fanatique du fait que cet homme ait été nommé à la présidence du conseil scientifique de l’Éducation nationale par notre charmant ministre de l’éducation nationale qui ressemble tant à un célèbre personnage de la Famille Addams, mais je retiens avec plaisir ses interventions au Collège de France [+], à la chaire de psychologie cognitive expérimentale.

Pour couper court à toute critique et se concentrer sur le fond du propos : celles et ceux qui auront suivi plusieurs liens posés sur mon blog auront bien vu que non seulement ce sont des images de la télévision mais qu’en plus ils mènent malheureusement sur YouTube. Vu tout le mal que je dis à longueur de chroniques concernant toutes ces plateformes dites sociales du web, vous pouvez montrer mes incohérences d’un doigt rageur. Vous aurez raison, mais deux leçons sont à tirer de ce malheureux état de fait. La première, nous sommes pétris d’incohérences, c’est pour cela que notre cerveau est celui d’un humain. La deuxième, le monde est totalement dépendant de ces plateformes et c’est pénible.

Ces histoires scientifiques de bon matin, me ramènent à cette incroyable information à propos du « vivant », sur ces complexes de cellules vivantes fabriquées de toutes pièces qui peuvent se reproduire. Les robots n’auront pas l’apparence qu’on leur donne depuis que Karel Čapek [+] avait introduit ce mot dans RUR, sa pièce de théâtre en 1920, mais plutôt et sûrement à des minuscules organismes qui refaçonneront le vivant, cela fait peur comme ça fascine, à lire et écouter sur Radio Canada, en français [+].

En parlant de vivant et surtout de la mémoire de notre espèce, s’il y a un être humain qu’il ne faudrait pas oublier c’est bien Franz Fanon, dont on fêtait les 60 ans de sa disparition physique, autrement appelée mort, il y a juste une semaine [+]. Ce psychiatre né en Martinique qui fut élève d’Aimé Césaire et de Maurice Merleau-Ponty dans des périodes différentes de sa vie, devenu écrivain engagé anti-colonialiste, dont tout le monde devrait avoir lu son ouvrage « Les Damnés de la Terre ». Un livre qui rend compte du processus des décolonisations et des aspects de la violence qui les accompagnent. Un livre sorti en 1961 en pleine guerre d’Algérie, qui fut évidemment interdit en France, Fanon y fut accusé de se faire l’avocat de la violence, alors qu’il n’était que théoricien de cette dernière. Tout ceci fait un terrible écho à ces dernières semaines où d’un côté du globe les Antilles françaises étaient en proie à une grande tension extrêmement violente [+] et où de l’autre côté la lueur d’un espoir d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie s’évapore [+] sous le souffle brûlant des intérêts du capital.

La matinée s’est passée au soleil d’automne Toulousain pas loin des rives du Canal du Midi. Oups pardon, j’avais dit : pas de pluie ni de beau temps !
Restons juste sur les eaux vertes de ce fameux Canal du Midi, car c’est non loin de lui dans ce bas du Faubourg Bonnefoy en pleine destruction au coin du chemin des Raisins, que l’Atelier TA [+], où entre-autres Thérèse [+] et moi pratiquons notre art, est installé dans un des derniers bâtiments industriels construits à la fin du 19e siècle à travers un mélange de vieille maisons toulousaines de grands ensembles de béton, d’entrepôts industrieux ou de petits ateliers. Les quartiers Negreneys et Bonnefoy sont malheureusement des quartiers ouvriers absorbés par le centre bourgeois de la Ville rose. Des quartiers voués aux gémonies de la gentrification et au pouvoir des prédateurs immobiliers appuyés par les pouvoirs locaux qui installent inexorablement la base électorale de ce bloc bourgeois.

Il y a déjà 8 ans, avec l’Atelier TA et en compagnie du Collectif IPN [+], nous avons investi notre actuel local, préservant ainsi le dernier bâtiment industriel debout dans cette zone. Ce n’était pas une mince affaire, le loyer n’est tout de même pas insignifiant et, même si ce n’est absolument pas un « squat » les aides sont quasiment inexistantes. Nous tenons bons contre vents et marées. Je dois avouer qu’à TA nous en sommes assez fières et fiers, même si évidemment nous avons été plus d’une fois attaqué·e·s sous l’angle de « L’artiste fer de lance de la gentrification », nous ne sommes pas de ces artistes là. Je sais la douleur pour les gens du quartier de voir se détruire un environnement abordable. Je sais que les édiles locaux, malgré leur mielleux discours, les condamnent à abandonner leurs foyers après avoir permis une belle augmentation sur le prix du mètre carré habitable. Et quand je disais plus avant que le loyer de notre atelier n’était pas insignifiant, il est clairement énorme par rapport au modèle économique des artistes précaires que nous sommes, souvent plus de 20 % de nos revenus. On le voit, à l’aune de ces information que je divulgue, les attaques contre nous sont infondées comme le sont celles contre les autres ateliers du quartier. Hélas quelques rouleaux compresseurs d’une culture hors-sol sont venus mettre à mal la vision qu’a le prolétariat de l’art et des artistes.

Je parle de l’Atelier TA, parce qu’avec d’autres ateliers d’artistes du Faubourg Bonnefoy de Toulouse nous avions organisé, ce dernier weekend, un marché de Noël de ces ateliers d’artistes, une espèce de circuit court dans l’économie du marché de l’art. Ce fut une « grande opération » coordonnée de trois jours, lancée sous la férule de Lieu-Commun [+] dont je vous ai souvent parlé ici-même dans ces chroniques, qui est un lieu de diffusion de l’art, en quelque sorte un centre d’art, mais qui est tenu et géré par des artistes et héberge des ateliers.
À l’Atelier TA, samedi dernier, nous avons accueilli l’acmé de l’opération dans une soirée « Esprit de Noël » qui fut une soirée mémorable et surtout un succès placé sous le signe du partage festif et de la bienveillance. Mais un succès bien loin de ces fâcheuses expériences prisées par les populations citadines aisées que sont les fameux tiers-lieux, maintenant clairement fers de lance de la nouvelle économie « startuppée », du « greenwashing » et autres stupidités actuelles.

Dans cette ambiance générale morose pour les artistes précaires que nous sommes, l’opération a permis d’aller à la rencontre d’un large public, évidemment souvent habituel de nos paradigmes artistiques à l’affut d’achats d’œuvres pas chères à offrir à la famille ébahie pour des étrennes classe à peu de frais, mais parfois un public néophyte et quelque fois du quartier. J’ai eu l’occasion de dialoguer avec certain·e·s personnes qui ont passé le pas de notre porte et discuté de notre condition. C’était chouette, ces personnes connaissaient toutes le prix de la précarité.
Pour conclure ce sujet d’après-midi d’automne : nous sommes effectivement fières et fiers de nos actions, mais nous ramons tout de même.

Et avant de descendre rejoindre mes collègues d’atelier pour un apéro bien mérité, je me fais à nouveau cette furieuse constatation que les actions de médiation de l’art contemporain sont au point mort pour la société. Malgré toutes les filières, tous les dispositifs et toutes bonnes volontés mises en place depuis des décennies pour faire entrer l’art dans la vie des gens, rien ne résiste aux rouleaux compresseurs du divertissement et des industries dites culturelles. Les institutions sensées nous accompagner, toutes acquises aux lois du marché libéral, ne font qu’enfoncer le clou dans la plaie en appliquant aux arts plastiques et visuels cette doctrine délétère de la loi du plus fort. L’art reste et demeure un art bourgeois. Même le street art le plus rebelle est entré dans ce formatage. Bref ce n’est pas gagné.

Des lueurs existent tout de même, nos ateliers en sont un peu le carburant. Et puis il y a deux ans, pile en décembre, pour soutenir les salariés qui battaient le pavé contre la réforme des retraites, naissaient des actions sporadiques de groupes d’artistes un peu partout en France, sous la bannière improvisée de la couverture de survie empruntée avec son accord bienveillant à l’artiste Alexis Debeuf [+] et sous le nom générique d’Art En Grève. Ici dans le sud, Art En Grève Occitanie [+] s’est organisé dans le cadre d’un collectif non formel assez large. Comme l’a si bien écrit le formidable artiste qu’est Manuel Pomar [+] en parlant de ces manifestations : « ces jours là nous avons révélé a de nombreux manifestants les réalités des artistes », et aussi : « L’art c’est autre chose que des produits inaccessibles pour bourgeois », je ne peux qu’être d’accord avec lui et relayer ce message.

Allez, je vous abandonne sur ces mots car il ne va plus y avoir de jaune à boire. L’apéro reste quand même la plus simple des aventures collectives…
Je vous quitte ainsi sur votre faim, et vous laisse espérer que ma prochaine chronique du lundi soit un peu plus étoffée. En attendant je vous souhaite une belle semaine et vous donne rendez-vous lundi prochain, même endroit et même moment…

Dessin de Philippe Pitet pour Imagerie de Combat - 2021
Dessin « Révolte Quotidienne », pour Imagerie de Combat – 2021

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…

PhP

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