17.04.2023 – Chronique du lundi

17 avril 2023 § Poster un commentaire

Surchauffe à tous les étages

Chères et chers ami·e·s, par ces mots assez convenus j’en conviens, une nouvelle Chronique du lundi, du lundi 17 avril 2023 pour être plus précis, s’ouvre à votre préhension textuelle, auditive et visuelle. Voire une préhension olfactive si l’appareil qui vous permet d’en prendre connaissance dégage quelques odeurs. Mais là même si le monde pue pas mal ces derniers temps, je n’y suis pour rien. Il est très tôt 4h du matin ce premier jour de la semaine, à l’heure où je commence quant à moi à composer ces premières phrases que vous êtes en train de lire ou d’écouter. Et pour le coup je vous y souhaite une bienvenue très embrumée des douceurs de la nuit finissante.

Je me lève tôt comme quelqu’un qui une fois encore n’a que peu de temps à travers ses occupations incroyablement disparates.
Vous voyez, ici nous sommes ensemble car je rédige tous les lundis un billet d’humeur sur le temps qui passe sous mes yeux. Parfois s’agit-il des choses de l’art, souvent des turpitudes de la vie sociale que les sapiens – dont je fais partie – mènent en commun de par le vaste monde.
Mais alors que j’aimerais bien profiter de mon plaisir favori qui reste la contemplation, il s’avère que je fais face à une activité en surchauffe. En effet dans les jours qui suivent je vais devoir finir deux socles un peu complexes, plaqués en laminé de la fameuse marque qui a fait le bonheur des cuisines dans les trente glorieuses, mais des plaques teintes de laminés supportées par du matériau en bois de récupération et tout de plaques reconstituées avec usage de colles et de pâtes écologiques. Il me semble vous en avoir déjà parlé précédemment… Cela m’a pris du temps parce qu’il m’a fallu inventer des techniques, accéder aux matériaux adéquats et acquérir un savoir faire inconnu préalablement pour un résultat qui doit être coûte que coûte quasiment (presque !) parfait. Car ces socles supporteront les très beaux volumes en céramique de cette formidable artiste qu’est Jeanne Lacombe [+] dont je vous ai pour le coup souvent parlé et conté l’admiration que je porte à son travail dans ces Chroniques.
Là, je l’avoue : je galère ! Même si le job reste passionnant et même si c’est sincèrement formidable de travailler pour et avec cette artiste qui maitrise si bien la couleur. Tout doit être livré pour transport vers un lieu d’exposition dans sept jours, un bon défi à surmonter.
Ainsi vous conviendrez que je ne peux point rester trop longtemps en votre compagnie.
De plus cette semaine comme lors des précédentes je vais devoir m’attaquer à d’autres tâches que cette aide à la production pour une autre artiste, car hélas tout cela s’inscrit dans le temps longs et une économie courte.
Soyons clair, il me faut vivre décemment. Du coup pour rajouter au stress de la vie, je suis bien obligé de travailler parallèlement sur plusieurs chantiers ou missions afin d’avoir des revenus que me permettent d’amener au foyer familial ma part de deniers sonnants et trébuchants, comme on dit.

Ainsi sans me plaindre plus que cela, pour continuer cette histoire centrée sur moi, une fois n’est point coutume dans mes Chroniques du lundi, comme mes revenus dépendent en ce moment malheureusement bien plus de mes chantiers et autres missions que de ma pratique, je dois gérer de face plusieurs boulots aux aspects si différents que je suis devenu un champion du grand écart…
Ici une aide à la production, là des éléments de scénographie, plus tard un logotype, ou bien des aides à la rédaction de dossier, plus loin du conseil pour la mise en ligne d’un site web, ou encore de la coordination de projet, ou enfin donner des cours, et j’en passe, sont le quotidien multi-facettes depuis des décennies de la condition de ma subsistance. Tout ceci sans compter mon temps occupé par mes actions militantes et engagées. Je ne me plains pas, tout se passe dans le milieu de l’art et de la culture. Mais avais-je imaginé cela lorsque dans le temps jadis j’ai commencé à étudier l’art dans des écoles idoines ? Il est bien entendu que non !

J’aurais pu admettre travailler uniquement à mon art me direz-vous. Sauf que que lorsque l’on était artiste plasticien qui débutait une « carrière » en plein cœur des années ‘80 du vingtième siècle en France et loin de Paris, la difficulté consistait à savoir trouver les bons réseaux et vendre son travail, qui pour ma part et pour ma pratique de l’époque étaient ma peinture et mes dessins, alors que tout feu, tout flamme je ne pensais qu’expérimentations et recherche.
Hélas il faut admettre qu’en ces temps, il n’existait que peu de circuit dit « professionnalisant ». Les choses ont heureusement un minimum évoluées aujourd’hui.
Mais à l’époque la réalité de la vie s’imposait à l’artiste, travailler à côté de son travail devenait directement son processus normal de subsistance. À moins évidemment que l’on ait pu avoir la chance d’être assez fortuné·e et de vivre de ses rentes, un terrible schéma de reproduction sociale.
Je parle de l’époque de mes débuts il y a 40 ans, c’était ainsi aussi avant bien entendu, ça perdure encore de nos jours. Il va surtout de soi que ce schéma nourrit le mythe bien bourgeois selon lequel seul·e les génies peuvent survivre… Un minimum dans la misère tout de même !
Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous narre tout cela. C’est juste que cette réflexion me vient d’une rencontre qui a eu lieu à Lieu-Commun Artist Run Space [+] ce samedi dernier dont justement le sujet était cette fameuse mythologie de l’artiste. Une excellente initiative dans le cadre du mois de l’art contemporain [+] en Occitanie et organisée en collaboration avec Air de Midi [+].

La rencontre à Lieu-Commun faisait suite à un autre événement de ce type qui s’était tenue à Marseille en fin de semaine dernière. Cette autre rencontre était quant à elle organisée par La Buse [+]. Elle se proposait de réfléchir à une internationale de travailleurs·euses de l’art. Ce type de rencontre, il faut l’avouer trop peu nombreuses, elles devraient se multiplier afin que le public comprenne ce que sont nos conditions d’artistes-auteur·es plasticien·nes.
Tout ce que je viens de vous narrer depuis le début de cette chronique du jour, vous avez dû le percevoir, présenté ainsi comme un focus consacré à l’exposition un peu vulgaire de ma piètre expérience d’artiste à la limite de la loose, pour finir par la mention de rencontres autour de la condition des artistes-auteure·es, se propose maladroitement d’être une introduction à ce que sont foncièrement ces dits artistes-auteur·es plasticien·ne s : des travailleur·ses tout simplement.
Et à travers toute ces interrogations de travailleurs·euses de l’art une proportion de plus en plus importante dans les rangs des artistes-auteur·es plasticien·nes réfléchissent à extrapoler à l’ensemble des secteurs de l’activité de la vie humaine nos pistes pour sortir de la misère voulue et généralisée par le capital.
Des réflexions de haut niveau et des plus primordiales qui entrent parfaitement à mon sens dans la perspective de ce que disait Robert Filliou [+] dans sa fameuse phrase : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».
Pour approfondir le sujet je vous conseille encore une fois plusieurs ouvrages dont je vous ai mainte fois fait la retape, tout d’abord « Notre condition » [+] d’Aurélien Catin [+], et ensuite le petit fascicule « Aujourd’hui on dit travailleur·ses de l’art » [+] de Julia Burtin Zortea [+] et Louise Drul [+]. Je me répète en peu de chroniques d’intervalle je sais, mais quand je milite j’aime bien insister et forcer le trait de mes répétitions.

Alors vous l’aurez vu, lu ou entendu, je n’ai pas parlé aujourd’hui des soubresauts de la politique française dans lesquels je me trouve bien malheureusement plongé, en compagnie de beaucoup d’entre-vous. Il est évident que comme la majorité de mes concitoyennes et concitoyens je suis furieux contre l’exécutif, de la présidence jusqu’au plus obscur sous-secrétariat d’état. Je suis furieux contre ces député·es hors-sol qui soutiennent les forcené·es radicaux autant que radicales qui nous gouvernent. Je suis furieux contre ce bloc bourgeois qui a déjà choisi de miser par tous ses moyens sur l’extrême-droite afin de garantir sa survie capitaliste. Je n’ai pas envie d’en rajouter, la mobilisation doit continuer et s’amplifier, « ¡hasta la victoria siempre! », comme nous pouvions l’entendre du temps des utopies en action.

Sur ce je vais devoir vous quitter pour partir travailler dans l’odeur de colle Néoprène, non sans vous avoir entretenu d’un sujet qui me vient à l’esprit et à travers les notes que j’engrange au jour le jour pour rédiger mes chroniques le lundi.
Aujourd’hui après avoir passé un dimanche loin de la ville dans la réalité rurale de mon bon vieux Tarn, où nous avons abattu des murs avec frère, sœur, mère et surtout ma chère et tendre Thérèse [+]. En effet je repense aux réalités des vies dans ces territoires où se concentre le prolétariat moderne et que l’on nomme les quartiers… Je vous partage ici cet excellent petit article en lien [+] du média en ligne « Chouftolosa », tout y est dit sur la violence de classe systémique. D’ailleurs pour boucler avec le début de cet exercice éditorial du jour, ça me fait penser à cette anecdote personnelle qui n’est pas la seule qui m’ait marquée alors que j’intervenais au cœur de ces dits territoires. Car vous n’êtes pas sans ignorer, à force de vous l’avoir seriné, l’injonction faite aux artistes de faire lien social. Et plus qu’à mon tour, pour avoir des subsides qui me permettait de continuer ma pratique, je me suis trouvé à animer des ateliers avec des enfants dans des quartiers défavorisés.
À Toulouse je l’ai fait souvent et longtemps à travers de multiples associations dans des écoles du quartier de la Reynerie. En janvier 2015, ce quartier s’est retrouvé bouclé pendant des semaines après les attentats islamistes perpétrés à Charlie Hebdo et tout ce qui a suivi. Il y avait chez ces enfants et ces familles que je côtoyais une totale incompréhension de la situation et du traitement au faciès qui leur était fait. Rancœur et haine ont submergé cette population déjà extrêmement précaire, ainsi qu’avait pu l’analyser [+] le démographe et anthropologue Emmanuel Todd [+] à l’époque. Rien ne change sous le soleil.

Sinon samedi prochain 22 avril 2023, c’est le Salon Reçoit [+] de Christian Guibbaud [+], à ne rater sous aucun prétexte ami·es toulousain·es et même d’ailleurs…

Voilà je vous laisse avec un des dessins que j’avais réalisés en 3D avec les enfants d’un atelier dans ces fameux quartiers dits sensibles pour un programme qui se proposait de réfléchir à la bise des êtres humains à travers le progrès de la robotique. Je vous souhaite une belle semaine, vous dit à lundi prochain selon le même processus. Adissiatz…

Dessin numérique fait avec des enfants de CM2 à l'école Didier Daurat de Toulouse - Avril 2017
Dessin numérique fait avec le jeune Rayan dans le cadre d’ateliers avec des enfants du CE2 au CM1 à l’école Didier Daurat – Quartier de la Reynerie Toulouse – Avril 2017

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…

PhP

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