07.12.2020 – Chronique du lundi
7 décembre 2020 § Poster un commentaire
Tout compte fait le policier n’avait pas pris feu...
Il y a quelques semaines dans une de mes chroniques du lundi [+], j’avais dit l’urgence qu’il y avait à savoir lire et décrypter les images, surtout les images de l’actualité jetées en pâture au public par des médias et des politiques avides de notoriété à peu de frais, le fameux « buzz ». Je disais aussi, il me semble, que pour savoir mieux y parvenir la société humaine dans son ensemble pourrait bénéficier de nos qualités d’artistes plasticiennes et plasticiens, productrices et producteurs de formes et d’images sensibles tout autant que sensées, si tant est que nous soient reconnus compétences et statut à leurs véritables valeurs.
Nous en sommes loin, mais il y a quelques prémices depuis la sortie du livre Notre Condition d’Aurélien Catin [+] (voir aussi ma chronique de la semaine dernière [+]). Tout du moins quelques prises de conscience de notre légitimité dans ce que je peux appeler : nos rangs sans être une armée, sans vouloir convoquer quelconque rhétorique guerrière. Je parle (écris !) des rangs de celles et ceux qui ont choisi la voix étroite de la pratique des arts visuels. Vous pourrez remarquer à ce point de ma chronique que je n’utilise pas le mot de « métier » en ce qui concerne nos pratiques d’artistes-auteur·e·s dans le domaine des arts visuels et plastiques.
Pourquoi me direz-vous ? Je vous laisse aller lire l’excellent texte à ce sujet (entre autres) de mon non moins excellent et estimé ami (et confrère, comme on pourrait le dire à l’Académie !) Sergueï Wolkonsky/John Moderno [+], dans son dernier billet (du 5 septembre 2020, intitulé : « Art en Grève Occitanie, bientôt un an ! ») pour Art En Grève Occitanie sur la page Facebook du collectif [+], lisible aussi sur le site d’AEGO [+]… Pour faire court : même si nous devons nous affirmer en tant que travailleuses et travailleurs comme les autres, à l’inverse revendiquer un métier serait nous enfermer dans des impossibilités sans fin, autant de chausse-trappes que de questionnements sur notre condition.
Je reviens à ma chronique, ceci dit je ne pense pas m’être trop éloigné ni du titre ni du propos de départ, car vous l’aurez toutes et tous compris : à travers les éléments cocasses d’une société humaine en pleine pandémie, société humaine qui se porte tellement mal que l’on croirait combattre un épidémie d’imbécillité, je parle ici de la condition de l’artiste, vue certes fort par mon petit bout de lorgnette, mais vue : d’un point de vue assumé !
En parlant des imbécilités de notre société, l’actualité nous oblige à remettre tellement de médailles que l’on ne sait plus où trouver l’or de ces dernières…
Hormis cette flambée de commentaires enflammés à tous les niveaux de la chaîne des actrices et acteurs de l’actualité brûlante sur une image somme toute réelle mais trafiquée pour lui faire dire autre chose que la réalité de l’instant, hormis la réaction téléphonée de la hiérarchie policière des syndicats factieux jusqu’au ministre de l’intérieur qui ne démordront pas de leur interprétation, il y a cette petite musique qui monte de ces commentaires dans ces chaînes de télévision et ces journaux bien connus pour leurs lignes éditoriales au parti-pris quasiment affiché d’idiotie systémique : les black blocs auraient été enfantés par des décennies de déliquescence du corps enseignant, bref tous les casseurs et les casseuses qui foutent le bordel dans notre bel hexagone sont les enfants des professeur·e·s de notre école républicaine (ça y est j’ai réussi à placer ma phrase à rallonge !).
Rappelons-nous que Fox News sévit depuis plus de quatre décennies aux USA, et qu’il ne faut pas s’étonner d’avoir vu un Trump à la tête de ce que l’on sait être l’état le plus puissant au Monde, et que l’on prend à présent son « tombeur » comme une délivrance de cette monstrueuse aberration. Bienvenue dans le monde de la post-vérité ou de la vérité augmentée, au choix.
À cette nouvelle étape de cette chronique, et sans vouloir être trop long, permettez-moi d’en rester aux remises des prix et des médailles de l’imbécilité congénitale. Permettez-moi donc de passer du global au local et de décerner la médaille de l’indécence à la Mairie de Toulouse dont les édiles ressemblent plus à une équipe de démolisseurs-promoteurs immobilier qu’à autre chose. Une médaille de champions pour la célérité dont ils ont fait preuve pour à mettre bas l’œuvre d’une sorte de Facteur Cheval toulousain qu’était feu Gilbert Vivien, ce personnage mythique hors temps de la Ville Rose qui avait façonné un monde bleu sur les bords de la Garonne. Ce monde de Bleu-bleu qui a bercé les toulousain·e·s depuis plus de trois décennies. Gilbert Vivien n’était même pas enterré que les bulldozers des nervis municipaux (avec l’aide de l’état et de sa police, excusez du peu !) ont tout détruit, sous le joli prétexte de la protection et de la sécurité des administré·e·s par nos bons et sympathiques édiles provinciaux.
Voilà comment on détruit la l’histoire et la culture d’une ville. La grande histoire d’une ville ne se fait pas grâce aux implantations de grands magasins de la marque Primark, à coup d’inaugurations en grandes pompes, de quinzaines commerciales sur la place du Capitole, ou de festivals hors-sols, mais bien en préservant toutes les petites histoires qui l’a constituée hier comme aujourd’hui.
C’est bizarre, ce genre de personnel politique me fait penser à leurs propres caricatures, comme si tous ces maires et conseillers provinciaux avaient pour modèle les édiles ripoux de Sin-City ou de Gotham. À noter qu’en ce qui concerne ce type générique d’élus on répétera à l’envie les termes « provincial » et « provinciaux » jusqu’à ce que nous soyons délivrés de leurs schémas de pensée tout aussi ridicules que d’un autre âge.
Mais quel rapport entre tout cela ? Quel rapport avec le statut de l’artiste dont je parlais à un moment de cette chronique ? Vous vous demandez où je veux en venir ? Ne me suis-je pas perdu à travers toutes ces diatribes de politique de comptoir ?
Tout cela se peut bien car il s’avère que de digressions en digressions dans mon esprit lorsque je pense à cette chronique hebdomadaire, je pense aux aberrations du Monde, je pense à la gestion calamiteuse de ce dernier. Je pense aussi à cette équipe municipale fraîchement réélue et déjà aux manettes de la destruction massive et de la préservation des zones commerciales. Je pense au dispositif policier mis en œuvre ce samedi passé 5 décembre pour éviter que les manifestations prévues ce jour-là ne viennent perturber les bonnes citoyennes et les bons citoyens que sont les consommatrices et consommateurs de Noël.
Il s’avère aussi qu’avec certaines et certains camarades artistes et dans le cadre de la part toulousaine du collectif Art En Grève Occitanie, nous avions décidé de déployer à nouveau nos « Ready Flags » pour manifester contre les précarités et la réforme du chômage. Nous les avons aussi déployés en solidarité envers les nombreux combats citoyens actuels menés pour la sauvegarde de nos libertés. Nous avons marché à côté d’autres organisations (constituées elles !) politiques ou syndicales. Sans animosité, juste fermes dans nos convictions qu’une autre forme de gouvernement est possible, que plus de solidarité est essentielle à la bonne marche de notre société. Nous avons marché dans le calme, sans vouloir tout péter, même si au fond de nous les pensées bouillonne parfois. Quand nous avons rompus, avec d’autres, à la fin de la marche et que nous avons pris la mesure de ce dispositif policier qui nous entourait, nous avons été effrayé·e·s plus qu’à l’habitude par sa sur-dimension. Certes ce n’était pas la première fois, mais là il y a comme une lassitude face à ces images du tout répressif pour contrer des revendications légitimes et essentielles.
Personnellement et avec les autres nous avons bien ressenti que quoiqu’il arrive quelque soit le nombre, seul un mur nous écoute. Et puis au sein du cortège, à l’image de ces cinq (pas moins) manifestations qui étaient prévues ce dernier samedi à Toulouse (j’imagine la même dans d’autres villes), les solidarités se craquellent. C’est bien dommage. C’est bien là tout l’objectif de nos dirigeants actuels : faire peur, faire craquer le front de la contestation, je rappelle : légitime. Mais le combat continue. En tout cas en ce qui concerne notre condition d’artistes et les échanges d’idées que nous continuons à mettre en œuvre entre artistes, travailleu·ses·eurs de l’art et enseignant·e·s… Les moyens d’actions et de réflexion changent de supports inexorablement, ils s’améliorent et se peaufinent.
Il s’avère enfin qu’un peu avant, et aussi lors de cette manifestation de samedi, avec cette mosaïque d’individus singuliers que forme AEGO, nous avons décidé de relancer cette énergie qui nous anime toutes et tous pour discuter, réfléchir, proposer, sortir de l’ombre, affirmer nos positions et pousser la porte des possibles. Pour nous, mais aussi pour la société humaine dans laquelle nous vivons. Voilà de belles perspectives et une histoire à suivre sur le site Web d’Art En Grève Occitanie [+].
Cette chronique n’est toujours pas radiodiffusée, sur les ondes de Radio FMR [+] à Toulouse, mais cela ne saurait tarder, à Noël peut-être !
Sur cette belle conclusion c’est lundi, je n’ai plus de stagiaire à encadrer et à former pour le moment, il est temps que je reparte à mes recherches et à mes pratiques, en ce moment dans le cadre foisonnant des plusieurs travaux que nous menons avec Thérèse Pitte [+]…

Technique mixte, photo détournée, feutre, peinture, impression numérique sur bâche 1,00×0,75 m
La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…
PhP
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