22.02.2021 – Chronique du lundi

22 février 2021 § Poster un commentaire

Dans la tête de Modigliani…

Nous sommes le lundi 22 février 2021, il est moins de 20h45 heure à laquelle je fini d’écrire ces quelques lignes.
La semaine dernière je vous avais annoncé une chronique peut-être non-radiodiffusée. Mais contre toute attente, j’avais tout de même réussi in extremis à faire mon enregistrement. Malheureusement, n’étant pas dans mes pénates, celle d’aujourd’hui, ne le pourra être dans les temps.
Plus tard peut-être ?
Je dois être clair, je n’ai pas tellement l’envie de continuer à écrire pour lire et diffuser ces mots sur les ondes. Je trouve tellement plus agréable de ne pas avoir à m’inquiéter du ton d’écriture à adopter. Juste écrire.

C’est pour cela que je ne souhaiterai donc pas forcément le bonjour aux amies auditrices et amis auditeurs de la Radio FMR de Toulouse [+].
Un autre jour peut-être. Ce n’est pas que je n’aime pas cette radio bien au contraire. En effet vous le savez peut-être, j’en suis un des membres historiques, je ne l’ai jamais réellement trahie à (trop) partir ailleurs même quand j’étais loin de Toulouse, mes excursions radiophoniques furent frileuses et peu nombreuses hors de ce bercail radiophonique. Mais voilà l’écriture pour la radio ne me laisse pas ce sentiment de bien-être que je peux avoir à écrire pour écrire tout court.
J’avais aussi eu la proposition de diffuser ces chroniques sur la web radio de La Cave Po’ [+], autre grande institution culturelle toulousaine. Mais voilà, ici encore, je m’interroge sérieusement sur ma capacité à en avoir l’envie.
Bref vous le comprenez, je quitte peut-être un temps les ondes. C’est mieux ainsi.
Ceci dit je souhaite bienvenue et belle lecture à toutes et tous les internautes à poils durs comme à poils ras, ainsi que celles ou ceux qui n’ont pas de poils…

Je me demande pourquoi j’écris à propos de poils, c’est sûrement que j’avais sous les yeux, toute la semaine passée, dans un coin abandonné de la maison de famille au cœur de mon vieux Pays de cocagne, quelques pinceaux et brosses que ma pratique plastique loin de la peinture a laissé tranquille depuis des années voire des décennies.
Et comme un surfeur mental qui divague sautant sur les autres vagues de mes pensées, c’est peut-être encore pour cela que j’ai envie de parler peinture dans cette chronique de ce jour, la peinture du temps qui passe vite. Ainsi va le titre de la chronique de ce jour, j’y reviendrai plus loin…

Puisque d’un coup, à écrire le temps présent, je surfe à nouveau dans mes pensées et il me revient à l’esprit cette information qu’aux USA et partout ailleurs les contaminations par ce virus qui envahit nos vies depuis plus d’un an s’effondrent.
En France il ne s’effondre bizarrement pas vraiment, sauf que malgré sa forte circulation les hôpitaux se désengorgent. Vraiment cela est très étonnant si on doit le mettre dans la perspective des émotions suscitées. À moins que le monde de l’info ne soit tout compte fait très prévisible.
Cette épidémie ne fait plus tellement recette, sauf dans certains territoires bien marqués à droite comme à Nice, j’écris ça, j’écris rien… Smiley !
Les effets secondaires spectaculaires du vaccin n’ont pas été tellement spectaculaires, les millions de morts en occident dus aux nouveaux variants, ne sont pas si morts que ça, bref tout cela est très décevant pour un audimat qui se lasse.

Petite parenthèse dont j’ai parfois le secret dans mes chroniques : il y a plus étrange que les méandres de l’audimat, car quand je tape « info » sur mon traitement de texte avec correction automatique, ce mot « info » se transforme en « oignon », ces dites intelligences artificielles sont à pleurer de rire.

Je reviens sur l’écume des vagues de mon esprit empli de ma mémoire de peintre, pour me remémorer justement qu’il y a certains (ou certaines) esprits tordus qui ont créé des « intelligences artificielles » afin de peindre des toiles qui se sont vendues des millions de dollars aux enchères à d’autres esprits tordus. Là je pleure aussi de voir l’immense imbécilité du monde de l’innovation à tout prix.
Quelle est l’importance et quel est l’intérêt de telles peintures ?
Ceci écrit, quand on sait que les toiles de Britney Spears se vendent aussi des millions, on ne peut que remplir des caisses de mouchoirs avec les larmes de nos corps.
Les sapiens que nous sommes pratiquons l’acte de peinture depuis toujours, nos cousins néandertaliens, denisoviens, luzonensis, ou autres florès, que nous avons à coup sûr absorbés dans nos gènes, pratiquaient aussi l’art pictural, au même titre que tout ce que nous nommons les arts. Peut-être même sont-ce eux qui nous ont initiés à ces pratiques.

Nous pratiquons donc les arts de la représentation comme le dessin et la peinture qui en découle (ou non !) depuis la nuit des temps. Chez nos ancêtres on ne peut affirmer à cent pour cent, loin, très loin de là, que ces pratiques avaient uniquement une valeur mystique ou spirituelle. Ce pouvait tout aussi bien leur être des moyens simples de communication, des territoires de divertissements, des histoires propre à créer de la culture, l’exploration de langages communs dans l’espace et dans le temps, de l’abstraction pure, un moyen de diffusion d’idées, des outils de progrès techniques et scientifiques, de l’agrémentation de l’habitat, ou tout ceci à la fois.
De toute façon cette forte pratique picturale a comporté assez de valeurs symboliques pour finir millénaires après millénaires par nous donner entre-autres l’écriture dans beaucoup d’endroit du monde qui se sont adonnés à l’agriculture.

Ce qui nous amène à la valeur de l’art, en l’occurrence à la valeur de l’art visuel.
Pour revenir à la peinture, pratique depuis toujours au cœur des arts visuels, je parle ici de pratique vraiment artistique et non de cette pratique de foire comme essaye de nous le vendre le monde de l’industrie du divertissement dans les exemples cités plus haut. Cette pratique donc, qui fut au cœur des miennes plus d’une décennie en groupe avec la BAO Comix Group [+] par exemple ou individuellement sur les murs de la rue comme sur des toiles, finit par n’avoir réellement de valeur que pour sa créatrice ou son créateur. Pour le public la création de la valeur ne peut être que le résultat d’une médiation de ce travail par l’artiste elle ou lui-même. Étant évident que cette médiation peut se faire à travers tout un écosystème de l’art (médiatrices et médiateurs, curatrices et curateurs, commissaires, etc), mais toujours avec la parole de l’artiste à la source. En tout cas pour ma part, je pense que le reste n’est que spéculations diverses autant que variées.

D’où le titre de cette rubrique, nous y voilà. Pas que je sois réellement fan du travail de Modigliani, il est loin d’être mon artiste moderne préféré, je pense avoir le droit de mon goût personnel en terme d’art visuel et plastique, mais tout simplement parce que j’ai lu il y a déjà quelques mois dans un journal de référence (bourgeoise) bien connu et bien propre sur lui, Le Monde pour ne pas le citer, un article que je viens de retrouver en ligne [+], mais pour les abonné·e·s seulement. Un article qui se faisait l’écho d’un travail de recherche scientifique du Centre de recherche et de restauration des musées de France sur le toiles de l’artiste en question.
Cette étude a mené à une mise à nu des toiles de Modigliani par l’étude des couches et sur couches posées sur le support. À la lecture de l’article et d’un documentaire diffusé sur Arte [+] il y a aussi quelques mois, la déduction n’est pas uniquement de l’ordre du geste artistique, mais décortique loin le fond de la pensée de l’artiste. Enfin, ce que les chercheu·ses·rs pensent être le fond de la pensée de l’artiste, bien que les premières et premiers aient évidemment recoupé le travail sur toile et la vie du second en mettant tout cela en perspective.
Le scan des œuvres du peintre et leurs interprétations aussi enthousiasmantes me furent-elles au début, ne serait-ce que pour une meilleure connaissance de l’histoire de l’art, ont fini par me faire à la réflexion sincèrement peur. En tant que peintre, as-tu envie de savoir qu’il y a des gens qui vont scruter les couches de peintures sur tes toiles pour connaître ta personnalité, ta façon de travailler, tes pensées du moment, ta mémoire des formes, tes processus de travail, surtout si les supports de calcul de tout cela sont des algorithmes d’IA, notre fameuse intelligence artificielle.
C’est extrêmement intrusif, même post-mortem, ça met les chochottes comme on disait dans les cours d’écoles de mon enfance.
Que pourrait-on dire, à part ce que je voulais exprimer moi-même, lorsque l’on voudra décortiquer des toiles de ma facture ? Même si j’ai laissé des écrits et des carnets ou des enregistrements, une fois disparus après ma disparitions que restera-t-il de la valeur de mon travail, à part le travail lui-même ?
Heureusement, je ne suis ni célèbre, ni intéressant pour l’histoire de l’art. Et c’est tant mieux, je ne veux pas mourrir sur scène, ni de mon vivant, ni de mon trépas.

Et là, je ne sais pourquoi, dans le griffonnage de cette chronique d’un trait au coin d’une table, libéré du lourd tribut de ma parole radiophonique pour revenir à l’essentiel de mon écriture, je surfe à nouveau dans les vagues de mes pensées.
L’évocation précédente de la mort m’amène par un méandre encore insondé de ma structure cérébrale vers un terme vu et rabâché depuis plus d’une semaine avec son lot de polémiques qui ne devraient même pas exister : l’islamo-gauchisme et ses dangers pour notre belle jeunesse…
Ce terme imbécile qui arrive fort bien à la rescousse de la stigmatisation d’une population étrangère prompte au séparatisme qui sentirait mauvais pour les bons français bien de l’Hexagone, population de l’axe de tous nos maux alliée à ces sales cocos qui ont tué des milliards de braves gens dans les goulags et qui voudraient recommencer chez nous.

Un mot issu de l’évangile d’extrême-droite française, apparemment inventé et revendiqué par le politologue Pierre-André Taguieff, qui a officié entre-autres au CEVIPOF cette fameuse officine de la pensée du bloc bourgeois dont la grande obsession est de démontrer que les gueux sont si sales qu’ils faut s’en méfier et que ce ne sont que des gaucho-lepénistes, affreuses tout autant qu’affreux, sales, méchantes et méchants, plus crétines et crétins que les lapins du même nom.
Il me semble que Pierre-André Taguieff, dont le parcours de l’anarcho-situationisme à la droite néo-conservatrice est symptomatique d’une génération légèrement nombriliste (okay boomer !), mais dont le travail sur les ressorts du racisme dans nos sociétés et le négationnisme reste tout de même intéressant à lire, bien qu’à prendre avec la précaution d’une lecture critique.
Inventé au début des années 2000 à l’aune de la rigidité chevènementiste, ce terme que lui-même dit dévoyé dans le débat actuel avec force raison, et qui aurait pu tout aussi bien se nommer quelque chose comme « national populisme-altermondialiste », reste une interprétation fantasmée et dictée par une vision panique de l’anti-sémitisme (à forte et vrai raison quand on a une histoire personnelle et familiale marquée par la violence européenne anti-sémite) et d’une collusion de plusieurs mouvements qui se déclaraient ouvertement : d’un côté contre la ségrégation anti-palestinienne mise en place par un état israélien de plus en plus à la botte des faucons, et de l’autre côté d’une radicalisation des mouvements islamistes (chiites comme sunnites) qui voulaient la destruction d’Israël.
C’est bien mal connaître les mouvances anarchistes, ou en l’occurrence les renier, que de les voir s’allier à des mouvances islamistes, même objectivement. Il est clair que nous sommes là dans des concepts orientés par une pensée de droite, même si cette pensée elle-même essaye de s’en défendre. Pensée de droite, ou plutôt de l’éternelle doxa du bloc de cette bourgeoisie blanche de droite comme de « gôche », qui domine depuis plus de 30 ans les médias, voire depuis toujours, car non : les arguments « gauchistes » n’ont jamais réellement dominées le débat. Il reste tout de même à savoir ce que veut dire gauchiste, on se réfèrera à Lénine peut-être, avec son livre paru en 1920 : « Le gauchisme, maladie infantile du communisme ». Objectivement je préfère les définitions de la spontanéité des masses de Rosa Luxemburg. Mais ceci est une autre histoire, bien plus complexe qu’il n’y parait être expliquée sur BFM-tv ou C-News !
Tout cela ne serait pas si grave si ce n’était pas une des cartes de ce jeux dangereux qui nous mène tout droit vers un nouveau totalitarisme et l’enterrement de nos libertés fondamentales partout dans le monde, en Europe et spécialement en France. Car ce discours fait écho aux peurs créées par des actualités extrêmement anxiogènes et ce sentiment de déclassement généré délibérément et diffusé intentionnellement par le bloc bourgeois dans les classes intermédiaires qui votent encore. Et qui voteront toujours plus à droite pour la sécurité des plus forts au mépris de la dignité des plus faibles.

Quant à la ministre Frédérique Vidal, qui a repris au vol ce terme à l’écho du chant d’un sinistre de l’intérieur, je dirais juste un fait historique : n’oubliez jamais que nous venons toutes et tous d’Afrique, que nos ancêtres étaient noires et noirs et que nous ne sommes arrivé·e·s en Europe qu’après avoir séjourné des dizaines de millénaires dans la péninsule arabique qu’après aussi nous être mélangé·e·s à d’autres races humaines dont nous gardons les gènes en nous comme ultime métissage, que les chasseuses et chasseurs cueilleurs et cueilleuses que nous étions vivions dans des communautés vraisemblablement sans chefs et sans distinction de genre, un modèle de gouvernance anarchiste, et c’est ainsi que nous avons conquis la planète dans une diversité que nous sommes en train de perdre au mieux et au pire de détruire.

Toute cette dernière diatribe nous a menés loin de la peinture et des arts plastiques ou visuels en général . Mais à y voir plus près, la représentation picturale, qu’elle soit peinture, dessin ou autres, comme pour tous les médiums utilisés par les artistes reste toujours un travail qui pose des questions sur le monde qui nous entoure, quand évidemment ces travaux ne sont pas une reproduction plate du réel ou un divertissement à bas niveau. Dans le jargon de l’art contemporain on parle d’œuvres qui interrogent le monde. Ce n’est pas nouveau, je reste persuadé que nos ancêtres questionnaient aussi le monde avec leurs travaux rupestres.
Alors il est vrai que les boulots plastiques qui s’engagent dans des interrogations et questionnements autour de ces sujets de société sont rarement frontaux et il faut les appréhender sur plusieurs niveaux d’entrées. Pour moi beaucoup de travaux des plus pertinents viennent de l’autre côté de la Mare nostrum, et plus particulièrement bien plus au Sud vers les contrées dites d’Afrique de l’Ouest.
Parce que c’est un peu mon histoire familiale et mon histoire tout court, je suis (du verbe suivre, je précise !) avec enthousiasme ce qui se passe dans l’art actuel de cette région du Monde, et plus particulièrement de Côte d’Ivoire. Je suis, je peux le dire, très fan du travail de la photographe plasticienne Joana Choumali [+], je me dis qu’il est incroyable que son travail ne soit pas plus souvent exposée dans nos contrées du Nord, ses géniales photos brodées sont toutes de véritables trésors. Mais au-delà tout son travail qui interroge la féminité en Côte d’Ivoire est plus que précieux.
Dans mes favoris du moment, il y a Yéanzi Saint Étienne [+] un autre artiste de Côte d’Ivoire, qui interroge entre-autres notre addiction au monde pollué/carboné à travers ses peintures au plastique fondu, dont j’aimerais voir plus souvent le travail en Europe. Alors qu’à peine diplômé des Beaux Arts d’Abidjan le jeune Yéanzi venait pour la première fois en Europe en 2013, il constata, je cite : « J’étais fasciné et intrigué par les différences extrêmes entre l’Afrique et l’Occident. J’arrivais dans un autre monde. C’est là que le désir d’étudier les phénomènes sociaux, mon intérêt pour le problème de la double identité sont nés. »
Et puis il y a Pascal Konan [+] qui travaille sur la gestion des villes ivoiriennes à travers l’utilisation de différents matériaux de récupération. C’est toute la question des « e-déchets » que cet artiste travaille pour leur donner une seconde vie. Ces objets qui encombrent les rues ivoiriennes et plus généralement d’Afrique de l’Ouest, véritable dépotoir du monde occidental.

Je pourrais vous donner encore mille noms de femmes et d’hommes artistes ivoiriens à suivre, mais voilà le temps me presse et la journée du 22 février 2021 s’achève tout comme cette chronique du jour.
J’avais failli rater le Salon Reçoit [+] d’aujourd’hui, toujours confiné et toujours sur le Web [+]. Alors nous allons nous y plonger avec Thérèse [+] avant de terminer notre nouveau « Travailleurs et travailleuse comme les autres » pour le prochain numéro du Doigt dans l’œil [+] de la Web Télé de Lieu-Commun, Artist run space [+]

Alors à la semaine prochaine les ami·e·s…

Philippe Pitet - scénographe, plasticien - scenographer, visual artist

Série – Line work: « Yeux » | Encre et gouache sur papier – Ink and watercolor on paper – 1996

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…

PhP

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