20.09.2021 – Chronique du lundi
20 septembre 2021 § Poster un commentaire
Le son de l’indécence
Amies et amis internautes, amis et amies auditrices comme auditeurs, et oui le son revient dans la danse, je vous souhaite la bienvenue sur ma chronique du lundi 20 septembre 2021. Dernière chronique d’un été qui s’éteint à l’orée des senteurs de l’automne.
Il fait encore nuit quand je commence l’écriture de cette 49e chronique à peine sorti du fond de mon lit douillet sous ces toits à l’ombre de Justin et dominé par le majestueux Glandasse. Pour celles et ceux qui l’auraient reconnu, c’est en Diois que je débute l’écriture de cet exercice éditorial hebdomadaire.
La bise est légère voire nulle sur la montagne mais l’air est un peu vif dehors. À travers la large baie vitrée qui donne sur la terrasse au dessus des toits, on peut distinguer un peu de bleu encore sombre surplombant de lourds nuages aux multiples nuances de gris qui s’accrochent à la ligne des cimes.
L’automne pointe donc son nez sur les flancs de la montagne.
Dans le noir qui précède l’aube on devine déjà les couleurs majestueuses d’un vert très profond qui vire à la saturation. Une teinte sombre presque uniforme avec de petites touches plus claires virant au jaune qui prépare cette mélancolique saison et qui je le sais finira dans une explosion de couleurs exubérantes, avant le gris de l’hiver.
Il me tarde car j’aime tant cet environnement majestueux au pied du massif du Vercors, qu’elle que soit la saison, qu’il me serait si doux d’y passer toutes mes nuits et tous mes jours au long de l’année.
Laissons le soleil se lever dans un humble silence face à tant de bienfaits esthétiques.
Après la petite interruption due au lever du jour et un petit déjeuner dans ce récit de lundi, je me dis encore et toujours plus, qu’être dans ce pays Diois sur les bords de la tumultueuse Drôme, être dans cette marche, cette frontière à la limite montagneuse de la culture d’oc, au Nord de ces Alpes provençales, me réjouit à chacun de ces instants qui me permettent d’en profiter. Et je redoute chaque retour ou départ de ce havre de paix et de créations qui a initié mon actuel travail vidéographique « Rituels », ainsi que plusieurs de mes carnets d’« Aiga – La cartographie sensible de l’eau ».
Bien sûr les circonstances familiales présentes qui ont accéléré notre présence ici, où la tristesse l’emporte sur la gaité, ne sont pas des plus agréables.
Je regarde la petite pile de ces post-it jaunes sur la table bizarrement carrelée en jaune elle aussi et qui me sert de support d’atelier quand je travaille ici à Die. Ces bouts de papiers, au bord du haut pré collé à la colle à repositionner, sont dessinés de traits rapides que j’exécute avec un feutre noir bien précis depuis le début de l’année en cours, à chacun de mes réveils dans cette petite ville nommée par les romains Dea Augusta. Comme un acte machinal sous l’emprise d’un irrépressible besoin de mémoire. C’est aussi devenu un de mes boulots en cours majeur. Et c’est sur la table jaune, au pied du Glandasse que cela se passe.
Je me pose toujours la question de l’intérêt de mon travail plastique, en fait voilà des années que j’interroge la mémoire humaine et ses processus, tant individuels que collectifs dans mon travail.
Même s’il pourrait paraître très anecdotique ce labeur présent, dont ces fameux post-it dessinés au feutre noir sont les uniques supports, reste dans ces paradigmes mémoriels. Anecdotique car il est avant tout un hommage à cette personne qui nous accueille à chacun de nos séjours Drômois dans cette maison familiale, mais universel tant cela questionne chaque être humain dans l’accompagnement empathique de ses congénères dans le temps et les épreuves.
J’en exprimerai évidement plus très bientôt, sûrement à travers une présentation publique de ce projet à long terme. Pour le moment la tension est trop palpable pour dire ce labeur terminé.
À cette heure médiane de la journée je préfère reprendre le début d’une citation connue, dont j’ai tout de même perdu la source : « la mémoire est un grenier… », et dont j’en terminerai la transcription un jour peut-être.
Ceci dit je ne me priverai pas de citer Gaston Bachelard (là au moins je me souviens de la source !) : « […] la maison est tantôt le coffre de nos souvenirs, tantôt un état d’âme […] la maison abrite et rend possible le processus de la mémoire […] ».
À noter encore une fois la faible capacité du français pour nous parler de mémoire avec des mots, en allemand par exemple nous aurions pu jongler avec Gedächtnis, Speicher, ou encore Erinnerung. Qu’à cela ne tienne soyons honnêtes on peut aussi dire en français des mots comme réminiscence ou souvenir.
Bref à ce moment de ma chronique, je me dis que j’ai assez parlé d’un « moi » sans importance.
Tant que j’y suis à vous entretenir de travaux plastiques et visuels, il y a quelques mois j’avais commencé à vous parler des artistes qui ont marqué ma façon de voir l’art (ah ! Zut ! Il faut encore que je parle de moi !).
Hors donc, un peu dans la lignée du Groupe Bazooka [+], j’avoue avoir éminemment apprécié le travail de Jean Teulé [+] en son temps.
Si je vous parle de Teulé, ce n’est pas que cet artiste touche à tout ait disparu loin de là. Mais c’est plutôt suite à un article récemment lu dans la salle d’attente d’un médecin qui tente de soigner mes allergies fortement handicapantes dans le cadre de ma vie en société. Article qui parlait de l’actrice Miou-Miou et qui ramenait à ma mémoire son mari qui n’est autre que : Jean Teulé.
Alors oui, ce dernier est plutôt connu comme écrivain, cinéaste ou chroniqueur de télévision, sauf qu’à l’époque de ma jeunesse post adolescente dans la 2e moitié des années 70 et du début des années 80, il exerçait le dessin, la bande dessinée.
Sauf qu’aussi, loin de la BD de « petits miquets », il a travaillé des médiums entre photos et dessins ou traitement photocopiés souvent recolorisés, pour créer des images très audacieuses en ce temps là. Il faut admirer des ouvrages comme « Bloody Mary » ou « Virus », certes des ouvrages de bandes dessinées, mais qui préfigurent tout un travail de la non narration ou de la méta narration picturale dans la micro édition et dans l’art.
Jean Teulé a d’ailleurs reçu en 1990, au festival d’Angoulême, un prix spécial du jury pour « contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée ». Avec beaucoup d’humour, prenant ce prix comme un hommage posthume, il abandonné la BD et les arts graphiques pour voguer vers d’autres horizons.
Quoiqu’il en soit, sa pratique très contemporaine du dessin m’a poussé vers des explorations graphiques que je n’aurais jamais imaginé faire… C’est donc un artiste que j’aime bien. Et c’est aussi pour moi l’occasion de réitérer mon grand attachement aux pratiques transversales qui évitent de s’enfermer dans des entre-soi mortifères.
À parler d’entre-soi mortifère, je saute du coq à l’âne ou de la poule à l’ânesse, ou vice-versa, et cela m’amène comme toujours à me questionner au « comment faire évoluer les situations vers plus d’équité dans ce monde de l’art ». Heureusement les lignes bougent, mais c’est loin de se faire seul. En parlant de celles et ceux qui font courageusement ce travail au quotidien et abattent des cloisons par trop souvent étanches, je vous laisserai lire un article à propos de la photographe Marie Docher [+] dans 50/50 Magazine [+] et de son combat pour la visibilité des femmes dans la photographie contemporaine autrement qu’à travers des fesses et des seins…
Dans ma rédaction du jour me voici rendu dans un autre moment de la journée qui s’avance inexorablement, ce que vous ne voyez pas en me lisant ou en m’écoutant, c’est la magie de ces chroniques du temps qui passe.
Hors donc à cette heure de la journée, il me semble important de continuer à vous livrer d’autres réflexions dans cette chronique, un peu déstructurée mais que je n’ai pas encore envie de clore, sur l’art et les artistes sans qui cet art n’existerait pas…
Vous l’aurez compris, il y a des artistes contemporains que j’aime beaucoup, Jean Baptiste Farkas [+] en fait partie. Je me souviens l’avoir reçu plus d’une fois dans les émissions de radio sur l’art contemporain que je produisais et animais il y a aujourd’hui plus de 15 ans. Tout ça pour vous dire que récemment cet artiste a initié une excellent collection de dialogues : « Beaucoup plus de moins ! », autour des logiques soustractives observées en art et ailleurs. Vous pouvez retrouver ces ouvrages dans Riot [+], ce super site nous avait déjà livré l’excellent ouvrage « Notre condition » d’Aurélien Catin.
Un peu comme on conduit un véhicule sur une autoroute en regardant le rétroviseur, il remonte dans mes pensées quelques oublis malheureux…
En août, par exemple, je n’ai pas fait écho à la mort de Jean-Luc Nancy, philosophe qui a souvent œuvré dans les paradigmes de l’art. Je suis loin d’être d’accord avec ses pensées « communautaires » (désolé pour le raccourci), il a été un thuriféraire, comme beaucoup, d’Heidegger il me semble. On l’a même accusé d’être proche de la Nouvelle Droite. Objectivement, à part son travail autour des arts plastiques, je n’ai pas lu grand chose de lui. Et puis il a tout même été marqué par Deleuze et fut proche de Derrida.
Je me souviens de ce qu’il disait dans une interview au début des années 2000 (désolé je ne me souviens plus trop où, mais j’avais noté cette phrase) : « – Il n’y a pas de rôle de l’art face à ce que l’on peut en effet appeler « crise du sens » parce que l’art est lui-même entièrement pris dans cette histoire, dans cette mutation du sens et qu’il en a même été sans doute un de ses premiers témoins depuis les grandes transformations des formes artistiques depuis la fin du dix-neuvième siècle jusqu’à maintenant »
Je vous laisse avec ce petit article de 2008 dans Art press [+] au sujet de l’exposition : « Le plaisir du dessin » dont il fut curateur en 2007. On ne s’étonnera pas qu’ayant le dessin comme un de mes médiums principaux je m’en fasse ici écho…
Une autre mort qui, je l’avoue, m’a plus touchée celle-ci est celle de l’artiste Michel Carrade en début de ce mois de décembre. Michel Carrade[+] était un des peintres emblématiques de l’École de Paris et de l’abstraction lyrique. J’avais eu l’occasion de le rencontrer quelque part au CIAM [+] de l’époque, au début des années 90, grâce à ce cher Bertrand Meyer-Himhoff [+].
Il me remonte aussi du fond de mes souvenirs enfouis que grâce à lui j’ai compris (ou non !) pourquoi je tirais une ligne sur un support et comment j’organisais mes couleurs… Ceci dit je n’ai jamais rejoins (ou non !) une quelconque abstraction… Bon et en plus cet homme avait passé son enfance et sa jeunesse dans le Tarn, comme moi (encore « moi » !). Bref j’aimais bien et le personnage, et son travail plastique.
La journée s’avance à travers les mots de ces phrases. Et je crois bien que j’arrive dans la dernière ligne droite de mon laïus du présent lundi toujours aussi déstructuré et sans aucun plan en arrière boutique.
Du coup je resterai dans l’agréable ligne de considérations autour de l’art, mais peut-être un peu plus politique à présent.
En effet, je vous en avais un peu entretenu en début d’été, lors d’un passage pour les rencontres photographiques à Arles, pour faire suite aux autres liens et considérations apportées dans cette ancienne chronique, je vous conseille de lire deux points de vues différents mais convergents sur le sujet de l’art et de la gentrification.
D’abord à travers un article dans Lundi AM [+], puis d’autre angle dans une tribune de Médiapart [+], ces deux articles ont les bonne fortune de nous éclairer sur les ressorts du spectacle de la richesse qui se fait souvent sur le dos du travail artistique évidemment.
Et je ne répèterai pas le pourquoi j’écris et dit « à » et pas « en » pour précéder Arles, il vous suffit de remonter à cette chronique du 12 juillet…
Peut-être était-ce ici ma seule saillie politique de cette chronique ? Comment savoir tant que cette 49e rédaction du lundi n’est pas close ? Considérations politiques appliquées à l’art certes fort, mais politique essentiellement, si tant est que l’on puisse séparer voire opposer les deux notions dans ma tête !
Car pour le coup nous arrivons réellement à la fin de la journée et du voyage. Et donc de ce bavardage textuel sans ossature, qui parle beaucoup d’art et de culture, pour une fois sans trop de digressions. Du coup j’en avais presque oublié de parler de notre bonne vieille ville de Toulouse…
Qu’à cela ne tienne, suite à un certain énervement pourtant pas très véhément il me semble, au sujet des politiques culturelles de la ville rose, la chronique de la semaine dernière n’est pas passée inaperçue. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis sûr que pendant tout le temps de la mandature municipale actuelle de la ville rose, et même quand j’en serai loin, au cœur des Alpes ou ailleurs, les faits et leurs actes vont continuer à me faire pousser de grosses colères.
Comme cette colère-là qui pointe dans mes tripes et qui pourrait s’intégrer dans la rubrique : « Il faut de tout pour faire un monde, mais ceci n’est pas de l’art c’est juste de l’entertainment ». Je ne vais pas m’étaler, mais j’ai bien vu que l’on parle de Toulouse à travers cet espace Cobalt dans Le Parisien [+]. Vu mes racines et mes origines, constater qu’un nouveau pan de la mémoire industrielle et ouvrière de Toulouse est écrasée par des concepts bien pourris et « gentrificateurs », je ne peux que rester extrêmement horripilé.
D’autant que durant la semaine précédente je travaillais dans mon atelier à l’Atelier TA [+] dans ce bas du quartier Bonnefoy de Toulouse en pleine démolition sauvage pour construire de jolis bureaux financés par des fonds européens de réindustrialisation qui finiront par être achetés par des parisiens (soyons clairs : je n’ai rien contre les parisiens !) à fort pouvoir d’achat car « proche gare TGV ». Et donc tous ces immeubles qui gardaient cette mémoire ouvrière des transbordements du fret entre canal et voie ferrée se font défoncer par qui ? Par des travailleurs de pays de l’est détachés employés pour désamianter ces vieilles bâtisses sans équipement idoine évidemment… Oui évidemment hier comme aujourd’hui le lumpen prolétariat ne vaut pas tripette face à la cupidité du bloc bourgeois. Autre colère !
Hors donc, tant qu’à parler parfois de Toulouse, j’avoue que si je n’en avais pas eu la flemme, j’aurais pu le mois dernier parler de la Libération de la ville en août 1944, à laquelle participait un de mes grands pères soit dit en passant.
Libération qui trop rouge au goût des alliés et de De Gaulle marquait la vrai couleur de la ville, on peut en lire un bout dans cet ancien article de Libé [+].
Et aussi de rouge qui constitue à coup sûr cette ville que l’on voudrait rose, on se souvient qu’il y eut il y a 150 ans une Commune de Toulouse. Très éphémère, mais l’actuelle capitale occitane fut une des rares villes à emboiter le pas des insurgés de la capitale française [+].
Bref quand j’écrivais et disais la semaine dernière que la vie dans cette ville des bords de Garonne n’est plus trop rose et qu’elle ne le fut sûrement jamais, elle fut au moins parfois rouge dans son histoire.
Ce que depuis des décennies, la bonne vieille droite catholique et bourgeoise essaye d’effacer de la mémoire collective. D’ailleurs, peut-être un jour vous narrerais-je l’horreur que fut la « dynastie Baudis » pour cette cité pluri-millénaire. Heureusement, certain·e·s se souviennent que le père du philosophe Alain Badiou [+], Raymond Badiou [+] fut maire de Toulouse…
Voilà réellement la fin de la chronique de ce jour qui m’a fait voyager des bords de la Drôme aux rives de la Garonne. De son il y fut un peu question (enfin j’espère !), on pourrait se poser la question de l’indécence… N’allons pas très loin il suffit d’écouter le président de la république de l’hexagone pour comprendre ce terme. Et de la chasse aux pauvres à la course à la matraque en passant par le mépris du soin, on prend bien la mesure de ce vocable français. Et oui, il fallait tout de même que je dise un petit mot au sujet des impéritie dans les plus hautes sphères de l’état comme on dit.
Et puis par contre il n’existe aucune honte à museler tout son discordant quand on voit ces graves attaques portées à la presse du moment qu’elle ne joue pas le rôle attendu par le pouvoir d’organe de communication du bloc bourgeois et de l’ordo libéralisme. Il suffit de voir cette affaire du journaliste de Reporterre que l’on a cherché à museler alors qu’il ne faisait que son travail de terrain sur la tarmac d’un aéroport, affaire que vous pourrez lire dans cet article du journal sus-cité [+].
Surtout qu’il s’agissait pour ce journaliste de rendre compte d’une action dans cette lutte qu’une jeunesse désespérée mène face à un pouvoir adulte indécent qui vise à détruire la vie par simple stupidité.
À travers ces légères digressions de politique locale et hexagonale, je parlais de voyage entre deux cours d’eaux qui me sont chers, de la Drôme à la Garonne, je vous laisse avec une image extraite du projet que j’essaye de mener tant bien que mal en compagnie de Thérèse [+] à travers toutes ces restrictions de déplacement depuis le début de l’année dernière. Nous nous y trouvons sur les pentes de Justin, ce qui fait une belle boucle avec le début de cette journée et de cette chronique. Ce qui est loin d’être indécent !
Je vous souhaite une belle semaine et vous dit à la semaine prochaine

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…
PhP
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