01.08.2022 – Chronique du lundi

1 août 2022 § Poster un commentaire

De la nature des choses en été caniculaire

Le temps passe à une vitesse inouïe nous sommes déjà le 1er août 2022, ce chaud été qui s’est tout de même radouci ces derniers jours, tout du moins dans notre petit nid d’été à l’ombre des bois au pied du Glandasse, cette grande montagne qui délimite mon horizon au-dessus du rideau d’arbres en ce jour qui se lève, mes yeux vissés à l’Est. Il est assez tard je l’avoue, pour un début de rédaction de chronique. Plutôt proche de 7h que de 5h du matin. Je l’avoue aussi beaucoup de ce que je vais vous narrer aujourd’hui a eu un large début de rédaction dans le farniente ensoleillé d’hier dimanche. C’est donc un peu relâche pour ce jour mais une nouvelle fois je vous souhaite la bienvenue dans ma chronique estivale. Celle-ci sera évidemment aussi simple que celles qui jalonnent cet été caniculaire où tous les records ont explosé.

Alors, en ce jour anniversaire de la naissance de Pierre Bourdieu [+], sociologue majeur du XXe siècle, « wokiste » avant l’heure pour les cloportes revanchard·e·s de l’ordre et de la loi du plus fort, tant détesté par tous les thuriféraires de la conservation et qui a si bien étudié les reproductions sociales… Ce qui n’a rien à voir avec le développement de mes élucubrations du jour… Vous l’aurez compris, aujourd’hui Thérèse [+], ses enfants et moi, sommes toujours dans notre pays Diois pas loin des sources de la Drôme pour encore un certain temps de l’été. Un été où toute une famille se rejoint un peu comme une drôle de transhumance sur les bords de la Drôme. Une famille qui est devenue un peu mienne par alliance comme on dit.
C’est parfois gai et joyeux, parfois totalement indifférent, parfois tendu et colérique, parfois incroyablement violent, souvent empli d’une infinie tendresse, comme toujours dans une grande famille, une fratrie, un clan en partie recomposé qui ne peut se compter sur les doigts d’une seule main, voire deux, de la génération active. Il y a les sœurs et les frères, les enfants, les ados, les moins ados, les plus agé·e·s et les petits enfants. Il y a celles et ceux qui ne sont pas là mais qui sont avec le clan grâce à ces outils du monde numérique qui communiquent par-delà les montagnes, les fleuves et les mers. On parle peu de politique mais on parle de société, on parle d’art, de science, de tout, de rien, de passé, d’avenir, de choses de la vie, de choses simples, on s’écharpe donc ou on rigole sincèrement à gorges déployées comme on rit jaune aussi, autour de tables aux couverts précieux ou de couvertures installées à même l’herbe sèche d’un champs, sur des bords rocailleux de rivières presque asséchées ou sur des terrasses jusqu’à tard dans la nuit, entre Pacs à l’eau, Casanis bien noyés, panachés glacés, rosés piscines, limonades bien fraîches, puis petits et grands crus des vignobles d’ici ou d’ailleurs, devant des grillades, des pizzas, des œufs mimosas ou du melon coupé en morceaux que l’on aura mis au frais dans une fameuse boite en plastique hermétique… C’est ainsi la vie et c’est réjouissant d’être en vie !
C’est la vie oui, et tout ceci me fait penser à Claude Levi-Strauss [+] quand il montrait que la famille, loin d’être une formation naturelle de l’espèce humaine, était une construction comme une adaptation rationnelle à la structure sociale. Il faut lire ou relire l’article sur le concept de famille dans son ouvrage : « Le regard éloigné », ouvrage ici en lien [+] sur le site de la BnF, mais disponible imprimé sur papier dans toutes les bonnes librairies !

Ces sauts « en famille » du bord de rochers dans les eaux fraîches du Bez [+] au Trou Béranger encore praticable malgré cette dure sécheresse qui étrille la Drôme [+] et ses affluents, ces sauts dans la rivière me remémorent ces moments d’enfance sur les rochers méditerranéens du Cap Martin à Menton [+] pendant ces jours d’équinoxes si particuliers le long de cette Riviera avec mon grand frère si sage, si sérieux, si bienveillant et ma petite sœur turbulente comme le sacré et adorable petit ludion qu’elle était. Nous sautions si joyeusement dans cette Méditerranée aux eaux chauffées de cette extrême fin de l’été où tout baignait dans un monde qu’à présent je ne peux décrire tellement ma mémoire fonctionne ces jours-ci à l’unisson de mes élégies, si ce n’est de que d’évoquer cette ambivalence du sublime et de la beauté qui nous renvoient vers Kant et sa « Critique de la faculté de juger » [+].
Cet été à l’ombre de Kant [+] que j’avais déjà convoqué il y a 4 ans pour ma série Slow Gangs, me ramène à cette idée que ma connaissance ne peut dépasser mon expérience de la vie ainsi qu’il nous le narre dans sa « Critique de la raison pure » [+]. J’en resterai donc à l’expérience des choses que j’approche avec ma conscience d’artiste bien épuisé d’une vie passée à ramer pour subsister, mais heureux du peu de concessions faites à l’ignoble monde capitaliste qui tue notre planète à grands feux.
Comme l’écrivait Lucrèce [+] dans son si merveilleux « de rerum natura » [+] :
« […] Plus doux encore est de tenir les temples qu’a érigé l’enseignement des sages, bien défendus, sereins, d’où porter son regard vers en bas et voir au loin les autres errer et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser d’esprit, faire nuit et jour un colossal effort pour monter au sommet de la richesse et être maître des choses… Pauvres esprits humains, ô poitrines aveugles ! En combien de périls et dans quelles ténèbres se consume la vie aussi courte soit-elle ! […] »

À ce point de ma chronique du jour et d’été, je vais arrêter d’étaler ma soi-disant culture comme une confiture à la fraise. Et tant qu’à étaler quelque chose je pourrais plutôt délayer ma prose sur les turpitudes de la Macronie triomphante [+] même quand elle perd.
Mais vous le savez à présent, voilà plusieurs semaine que la lassitude a emporté mon indignation légitime.
Du coup, je vais juste être rapide et succinct avec cette nouvelle incroyable affaire d’un vote à l’Assemblée Nationale de la République Française annulé puis revoté [+], au sujet de la revalorisation des retraites que le gouvernement français ne voulait pas revaloriser, lors des débats marathons sur les rectifications du budget de l’état.
Dans tous ces débats autour du « pouvoir d’achat des français », on aura aussi senti tous les atermoiements de la droite de son extrême-droite à sa gauche qui à la fin des fins est toujours venu au soutien du gouvernement à partir du moment où sa ne heurtait pas trop ses électorats. Comme nous l’avons vu à propos de l’augmentation du smic, ici en lien [+] dans Révolution Permanente. D’ailleurs même BFM-tv s’en réjouit [+] dans un titre révélateur « Le projet de loi Pouvoir d’achat adopté avec le soutien du RN et LR, malgré l’opposition de la NUPES ».
Le show ne fait que commencer comme on dit et le FN, pardon, le RN, en plus de deux vice-présidences de cette assemblée du peuple à obtenu des postes clés non négligeables dans diverses commissions de l’Assemblée Nationale comme à la Commission de la défense et à la Délégation parlementaire au renseignement ainsi que vous pourrez le lire sur ce lien [+] vers le journal Le Monde qui est loin d’être un journal d’extrême-gauche. On pourra longtemps remercier le barrage que le président actuel de la République Française a fait à l’extrême-droite.
Il ne faudrait jamais oublier en ce lendemain d’anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès que son assassin d’extrême-droite droite fut acquitté et que la femme de cet immense tribun de la gauche radicale, fondateur de l’Humanité [+] dont tout le monde se réclame, dut payer les frais de justice [+].

À cet autre moment de la présente estivale chronique j’aurais pu revenir sur cette guerre qu’il était prévisible de voir s’éterniser à l’Est de notre continent européen. Ici dans ces contreforts sud du massif du Vercors aux accents « protoprovençaux » [+], à la tradition hospitalière et aux sincères élans de solidarité pour des réfugié·e·s venant de tous les coins de la planète, nos ami·e·s Max Barrel, qui a aménagé une maison autonome en montant vers le col de Menée, et sa compagne la peintre et plasticienne Alina Cociere [+], hébergent une famille ukrainienne de leur proche connaissance depuis le début de cette guerre fratricide et débile, dans l’atelier même d’Alina. Alina est d’origine moldave et russophone, son amie ukrainienne est aussi russophone, mais ukrainienne. Je vous en avais parlé il y a quelques mois, elles se sont rencontrées lorsqu’elles étudiaient à l’école des beaux-arts de Moscou. Comme quoi l’amitié entre les peuples de l’ex Union Soviétique pourrait perdurer sans les horreurs du nationalisme et de l’impérialisme dans ce coin d’Europe. Mais ici l’impression que cette situation va durer dans le temps est plus que palpable.
En attendant, sur le dos des populations et du peuple, le capitalisme mondial n’a cure de ces cruautés. Ses piliers principaux que sont la consommation et la fuite en avant dans la futilité imbécile est un bel exemple avec nos usages du web où nos données personnelles sont éparpillées façon puzzle jusqu’en Russie, comme nous le rappelle Numérama ici en lien [+].

En fait, l’imbécilité et la vacuité du capitalisme est insondable quand on prend conscience que son ultime avatar est une stupidité appelé licorne [+], que beaucoup de ses panégyristes décérébré·e·s roulent en trottinettes [+], que l’art s’y résume au street-art, à la pop et au rap canalisés à travers des filtres la « monoforme hollywoodienne » [+] à mille lieues des contestations de départ [+] et que des coupes du monde de football se déroulent dans des pays qui sont loin d’être les parangon de la liberté [+], même si notre condition d’occidentaux autant que d’occidentales nous ne donne aucun droit à faire des leçons de morale à quiconque sur la planète Terre et ailleurs.

En parlant de liberté d’opinion et de liberté de la presse, cette dernière est tellement « libre » chez nous qu’elle peut se permettre de dire tout et n’importe quoi à partir du moment où elle brosse le poil de son audience dans le bon sens. Depuis longtemps les faits divers font les choux-gras d’une presse qui se vend bien, quitte à arranger la sauce de façon à asséner les idées les plus faciles d’accès, les mensonges deviennent l’information officielle comme dans cette affaire déterrée avant les élections d’un couple de pauvre propriétaires soi-disant squattés à leur insu [+], un peu comme si on voulait faire monter les voix bien droitières dans les urnes à l’approche d’élections qui engagaient l’avenir du pays.

Ce qui me fait rebondir avec vous sur comment ces affaires de squatteurs sont toujours contées à l’aune de ces vieux fantasmes qui alimentent les « logiciels » de la pensée de droite et que le point de vue est toujours très droitier, comme l’indique Debunker de hoax en suivant ce lien [+], le squat toujours un prétexte moderne pour un racisme classique.
Tout cela ne serait pas grave dans un pays qui garantit liberté de la presse et liberté d’opinion, si il y avait une visibilité réelle de l’exposition des idées autres ou opposées. Ce n’est malheureusement pas le cas comme on peut le lire sur cet article d’Acrimed ici en lien [+], et c’est ainsi que l’on se retrouve avec une extrême-droite droite européenne extrêmement puissante aujourd’hui.
Peut-être devons nous revenir sans cesse à explorer et à porter la mémoire de celles et ceux qui se sont soulevé·e·s contre les totalitarisme à l’instar d’artiste comme Hans Hartung [+], que j’avais eu le plaisir de rencontrer succinctement à Antibes au début des années 80, quelques années avant sa mort.

Vous conviendrez avec moi que cet été est bien extrême pour que je vous emporte dans une dérive presque sans transition d’un conte moderne et horrifique de la maison faussement squattée dans la France qui a peur vers un artiste majeur dans l’histoire européenne de l’art moderne et contemporain.
Peut-être simplement parce que mon cerveau est perpétuellement squatté par cet art qui se produit sous mes yeux. Ici entre Durance et Drôme, Baronnies provençales et Vercors, dans les montagnes comme dans les vallées, il y a des artistes, il y a des échanges avec ces artistes, souvent bien plus qu’ailleurs il me semble. Surtout dans ce Pays Diois où les vibrations artistiques dans le domaine des pratiques visuelles et plastiques, modestes certes actuellement, s’amplifient durablement et c’est enthousiasmant, tout comme ces rencontres qui en résultent. Je vous ai parlé évidemment en début de cette chronique d’Alina Cociere que je peux dire amie de longue date à présent et qui a installé son atelier dans ce pays depuis des décennies maintenant, amenant sa pratique faite de grandes toiles hantées par la sombre prémonition quasi abstraite des âmes humaines broyées dans le chaos déchaîné de ce temps qui passe. Alina et Max, son compagnon donc, nous ont fait connaître ce super attachant photographe qu’est Christophe Jacrot [+] dont la fraîcheur optimiste des images, qu’il butine à travers une nature où l’espèce humaine n’est qu’une passagère, interroge à bon escient et sans condescendance mais avec cœur notre place dans cette nature. Christophe va bientôt sortir une nouvelle édition de son travail. Un livre intitulé « Eaux fortes », des variations bien rafraîchissantes autour de l’eau, vous comprendrez que cela me parle. Une édition qu’il a lancée avec son éditeur à travers un financement participatif et que vous pouvez trouver maintenant en précommande en suivant ce lien [+].

Vendredi soir dernier je vous l’avais annoncé dans ma précédente chronique, avait lieu à DIEresidenz [+] le rendu de résidence de Evgenija Wassilew [+], une artiste berlinoise invitée par Conny Becker [+], commissaire de l’exposition, responsable et fondatrice du lieu que l’on peut sincèrement remercier pour son accueil. Un magnifique travail d’Evgenija sensible et extrêmement fin autour d’une cartographie sonore des alentours du lieu de résidence, toute faite entre distorsions et dessins de partitions abstraites qui m’a ravi et réconcilié, si tant est que je fusse fâché, avec le son et son exploitation dans une installation plastique. Ce son que j’ai tant de fois utilisé dans d’anciens boulots, justement quand il s’agissait de présenter mon travail Outre-Rhin. Vendredi soir chemin des chaînes à Die, c’était un peu Berlin à l’ombre de la somptueuse lumière du Glandasse. C’était plus que chouette !

Je ne pouvais pas clore ma petite tournée dioise de l’art en quelques mots sans parler de cette presque nouvelle boutique The Hoochie Coochie [+] qui est ouverte depuis près de deux ans dans la Grand rue, la rue Camille Bufardel. En fait c’est toute cette fameuse maison d’édition indépendante The Hoochie Coochie [+] œuvrant depuis vingt ans avec grand talent dans le domaine des arts graphiques et les nouveaux territoires de la narration dessinée qui est venue s’installer à Die.
Ce nouvel espace de vente mais aussi d’exposition est à deux pas d’une autre boutique, l’Entre-Pôt [+] emplie d’un joyeux bric à brac d’objets d’artisanat éthique issu de circuits courts, parsemée d’œuvres d’art ou d’éditions originales. Si je vous parle d’une boutique d’artisanat, c’est parce celle-ci est tenue par François Lagrange [+] un autre artiste plasticien adorablement généreux installé dans le Diois. François avait invité notre Atelier TA [+] toulousain à exposer ses artistes pendant le Festival Unique [+] de Die. Une super expérience unique avant la fameuse crise sanitaire, où nous avons pu déployer notre fameuse Fabarique à Frites [+]. Et puis à l’Entre-Pôt, vous pouvez retrouver des série de cartes postales originales éditées par la François, dont une très belle série de Thérèse Pitte [+], qui même si nous partageons vie et atelier du côté de la Ville rose, Thérèse reste une merveilleuse artiste dioise.
Personnellement en bon vieux libertaire, je trouve que c’est quand même mieux de voir s’implanter des entreprises de culture et d’art sur un territoire plutôt que des stupides startups ou des centre commerciaux destructeurs. Comme je vous le dis depuis des mois et des années : « Plus d’écoles d’art, moins d’écoles de commerce ! »

Bon je vous laisse, le travail ne manque pas à remplir mes petits carnets croqués dans le Diois pour mon projet au long cours : Aiga – La cartographie sensible de l’eau, dont je vous laisse le dessin du jour ci-dessous. Histoire de vous rafraîchir. Adissiatz…

Photo d'une page d'un carnet "Aiga - La cartographie sensible de l'eau" du plasticien Philippe Pitet - Carnet de Romeyer 2018-2023
Aiga – La cartographie sensible de l’eau, photographie d’une page du carnet Confluent Meyrosse – 2020-2023

La suite la semaine prochaine pour une nouvelle « Chronique du lundi »…

PhP

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